Cette parole qui m'oblige

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Accompagnement musical au piano par Jean-Marie Dzuba.

Lecture des textes biblique par Pierre-Paul Delvaux

Cette parole qui m'oblige



Par Judith van Vooren


 

Parole venue d’ailleurs,

pour nous inciter à l’écoute et au silence

Parole comme une ouverture

dans nos horizons trop étroits

Parole comme une trouée

dans nos visions embuées

Parole comme une interrogation

devant nos certitudes

 

Parole qui nous séduit à répondre,

à offrir notre parole,

ta parole, ma parole

en signe de gratitude

parce que nous n’avons pas été oubliés

 

Parole  

à la fois

réflexion et acte

posé déjà ou suspendu encore

jusqu’à sa naissance

d’entre nos lèvres

d’entre nos mains



Exode 20, 1-21


Et Dieu prononça toutes ces paroles :


2 « C’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude :


3 Tu n’auras pas d’autres dieux face à moi.


4 Tu ne te feras pas d’idole, ni rien qui ait la forme de ce qui se trouve au ciel là-haut, sur terre ici-bas ou dans les eaux sous la terre. 5 Tu ne te prosterneras pas devant ces dieux et tu ne les serviras pas, car c’est moi le SEIGNEUR, ton Dieu, un Dieu exigeant, poursuivant la faute des pères chez les fils sur trois et quatre générations – s’ils me haïssent – 6 mais prouvant sa fidélité à des milliers de générations – si elles m’aiment et gardent mes commandements. 7 Tu ne prononceras pas à tort le nom du SEIGNEUR, ton Dieu, car le SEIGNEUR n’acquitte pas celui qui prononce son nom à tort.


8 Que du jour du sabbat on fasse un mémorial en le tenant pour sacré. 9 Tu travailleras six jours, faisant tout ton ouvrage, 10 mais le septième jour, c’est le sabbat du SEIGNEUR, ton Dieu. Tu ne feras aucun ouvrage, ni toi, ni ton fils, ni ta fille, pas plus que ton serviteur, ta servante, tes bêtes ou l’émigré que tu as dans tes villes. 11 Car en six jours, le SEIGNEUR a fait le ciel et la terre, la mer et tout ce qu’ils contiennent, mais il s’est reposé le septième jour. C’est pourquoi le SEIGNEUR a béni le jour du sabbat et l’a consacré.


12 Honore ton père et ta mère, afin que tes jours se prolongent sur la terre que te donne le SEIGNEUR, ton Dieu.


13 Tu ne commettras pas de meurtre.


14 Tu ne commettras pas d’adultère.


15 Tu ne commettras pas de rapt.


16 Tu ne témoigneras pas faussement contre ton prochain.


17 Tu n’auras pas de visées sur la maison de ton prochain. Tu n’auras de visées ni sur la femme de ton prochain, ni sur son serviteur, sa servante, son bœuf ou son âne, ni sur rien qui appartienne à ton prochain. »


18 Tout le peuple percevait les voix, les flamboiements, la voix du cor et la montagne fumante ; le peuple vit, il frémit et se tint à distance. 19 Ils dirent à Moïse : « Parle-nous toi-même et nous entendrons ; mais que Dieu ne nous parle pas, ce serait notre mort ! » 20 Moïse dit au peuple : « Ne craignez pas ! Car c’est pour vous éprouver que Dieu est venu, pour que sa crainte soit sur vous et que vous ne péchiez pas. » 21 Et le peuple se tint à distance, mais Moïse approcha de la nuit épaisse où Dieu était.



Jean 13, 34-35 & 14, 15-24


13  34 « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres. Comme je vous ai aimés, aimez-vous les uns les autres. 35 A ceci, tous vous reconnaîtront pour mes disciples : à l'amour que vous aurez les uns pour les autres. »

 

14 15 « Si vous m'aimez, vous vous appliquerez à observer mes commandements ; 16 moi, je prierai le Père : il vous donnera un autre Paraclet qui restera avec vous pour toujours. 17 C'est lui l'Esprit de vérité, celui que le monde est incapable d'accueillir parce qu'il ne le voit pas et qu'il ne le connaît pas. Vous, vous le connaissez, car il demeure auprès de vous et il est en vous. 18 Je ne vous laisserai pas orphelins, je viens à vous. 19 Encore un peu, et le monde ne me verra plus ; vous, vous me verrez vivant et vous vivrez vous aussi. 20 En ce jour-là, vous connaîtrez que je suis en mon Père et que vous êtes en moi et moi en vous. 21 Celui qui a mes commandements et qui les observe, celui-là m'aime : or celui qui m'aime sera aimé de mon Père et, à mon tour, moi je l'aimerai et je me manifesterai à lui. » 22 Jude, non pas Judas l'Iscariote, lui dit : « Seigneur, comment se fait-il que tu aies à te manifester à nous et non pas au monde ? » 23 Jésus lui répondit : « Si quelqu'un m'aime, il observera ma parole, et mon Père l'aimera ; nous viendrons à lui et nous établirons chez lui notre demeure. 24 Celui qui ne m'aime pas n'observe pas mes paroles ; or, cette parole que vous entendez, elle n'est pas de moi mais du Père qui m'a envoyé.


 

Prédication


Chers frères et sœurs, chers ami.e.s,

 

Quand notre premier ministre, Sophie Wilmès, nous annonçait une nouvelle phase dans le déconfinement, un élargissement de notre bulle familiale, pour le 10 mai elle a assorti cette promesse de regain de liberté d’une série de mesures de prudence et de sécurité : la distanciation, le port du masque, le fait de n’appartenir qu’à une seule bulle. Si nous acceptions l’élargissement proposé nous étions aussi invités à respecter ces règles, nous étions même supposés les respecter. Heureusement, un contrôle des  règles étant difficilement réalisable, elle a parlé d’un contrat qui nous lierait toutes et tous et ce faisant elle a voulu compter non pas sur notre obéissance aveugle, risquant une désobéissance sourde, mais sur notre intelligence, sur notre sens de responsabilité, sur notre civisme, sur notre respect les uns des autres, sur notre souci les uns des autres.

Un pari imprudent selon certains qui craignent sans doute qu’un trop grand nombre entre nous est incapable de gérer la liberté et la responsabilité qui va avec, parole de sagesse selon d’autres.

Moi j’y ai entendu une belle illustration de la manière dont pourrait fonctionner les Dix Paroles, reçues par Moïse sur la montagne de Sinaï. À une différence près ; notre premier ministre proposait ce contrat alors que la liberté n’était encore que promesse, là où l’Éternel propose son contrat après avoir réalisé le déconfinement complet de son peuple.

Mais dans les deux situations, l’idée va dans le même sens : les propositions du contrat, les règles, sont données comme des balises afin que nous puissions obtenir, maintenir et garantir la liberté pour tous et dans la durée. C’est pourquoi Sophie Wilmès précisait que le non-respect du contrat aura sans doute comme conséquence l’inévitable régression de la marge de liberté.

 

Mais revenons un instant à cette différence entre notre premier ministre et l’Eternel : l’acte libérateur du Seigneur précède les Dix Paroles et donc nous pouvons dire que son agir devance et détermine même notre faire et notre penser dans la mesure où nous réagissons à ce que nous connaissons de Lui. Dans ce sens le Décalogue ou la suivance du Décalogue est un acte de confiance.

« Dieu prononça toutes ces paroles. « C’est moi le Seigneur ton Dieu, qui t’ai fait sortir du pays d’Egypte, de la maison de servitude ». C’est là non pas une introduction au Décalogue mais bien la toute première des Dix Paroles. La première des dix paroles n’est donc ni un ordre ni un commandement que le peuple aurait à exécuter sans broncher, mais bien l’affirmation de l’engagement de l’Eternel en faveur du peuple d’Israël. Et cet engagement en appelle un autre. C’est pourquoi je préfère éviter de parler des Dix Commandements lorsqu’on évoque les Dix Paroles mentionnées ici en Exode 20 et ensuite en Deutéronome 5. D’abord parce que le texte biblique ni la tradition juive n’utilise jamais cette expression puisqu’ils parlent des Dix Paroles, mais aussi parce que le mot ‘commandement’ a pour nous une connotation négative là où la Parole, les Paroles sont chargées de promesse, de créativité et de vitalité. Quand Dieu parle Il crée, comme nous le rappelle la cinquième Parole qui nous invite à célébrer le jour de repos, comme un mémorial de cette toute première intervention de l‘Eternel, qui semble retrouver à la lumière de l’Exode, tout son éclat. A chaque fois que nous évoquons les Dix Paroles, la création tout entière retrouve son sourire. Le décalogue est cette invitation à placer nos décisions dans la perspective de la vie créée et recréée.

Il y a bien un mot en hébreu qui correspond à notre mot ‘commandement’ et ce mot apparait dans le corps du texte . C’est le mot ‘mitswot’ qui indique plutôt les nombreux ‘commandements rituels’ comme nous l’explique Marc-Alain Ouaknin (dans : Les dix commandements), ces ‘rites à accomplir dans le quotidien’ qui permettent par l’ordre donné de mettre en ordre, de mettre à leur juste place les choses mais aussi les humains. Les mitswot ainsi compris, les commandements à proprement parler, sont des ordres à faire ou à ne pas faire quelque chose et visent donc les ordres qui permettent le fonctionnement d’un système, d’une société. Ce sont les 613 commandements, 365 négatifs comme le nombre des jours d’une année (tu ne feras pas) et 248 positifs, comme le nombre des os du corps humain (tu feras) mentionnées en introduction de ce culte.

 

Les Dix Paroles semblent d’un autre ordre, plus fondamentales, elles tracent les grandes lignes de notre existence en tant que sujets libres et responsables face à, et parmi, d’autres sujets libres. Elles constituent la base à partir de laquelle plus tard un ensemble de lois et prescriptions complexes organise et structure le vivre ensemble.

Les Dix Paroles invitent à ce qu’il convient d’appeler une éthique de vie, une éthique de liberté rendue possible parce que nous sommes déclarés libres.

Cette proximité de sens entre les Dix Paroles et notre liberté a été soulignée par les rabbins depuis de nombreux siècles déjà. Au chapitre 32, 16, il est dit de ces paroles qu’elles sont gravées dans la pierre,  ‘harout’ mais le Talmud invite à lire ‘hérout’ ce qui signifie ‘liberté’. ‘Harout’ ‘hérout’ ça rime ; ce qui est griffé dans la pierre annonce et rappelle notre liberté ; il n’y a pas dans la Torah de contrainte qui nous réduirait en esclaves d’une certaine morale. Il y a simplement la possibilité de vivre autrement parce que nous sommes libres de le faire. 

A vrai dire, on ne devrait entendre les Dix Paroles uniquement dans cette seule perspective de notre mise en liberté. C’est là qu’un engagement de notre part peut trouver sa source et sa force créative. Il faudrait pouvoir arriver à nous approprier ces paroles de manière à ce qu’elles nous stimulent  à augmenter en nous, autour de nous et entre nous l’espace de vie qui s’appelle liberté. Alors on pourra les entendre comme une promesse pour notre vie

 

La première des Dix Paroles concerne donc un engagement de Dieu qui en appelle un autre. En effet, à chacun des cinq premières paroles correspond une autre et toutes dépendent de celle qui concerne l’engagement de Dieu en faveur de son peuple. Les cinq appels de la deuxième série commencent tous par le petit mot ‘lo’, cet adverbe introduit des actions à ne pas faire parce qu’elles iraient à l’encontre de la toute première Parole dont elles invalideraient l’effet. Que signifie l’œuvre libératrice de l’Eternel si nous nous enfermons dans des gestes qui refusent à nos prochains leur dignité de sujets libres, leur humanité ? 

La sixième Parole, ‘tu ne tueras pas’, correspond à la première et détermine à son tour les quatre autres qui suivront. Le ‘tu ne tueras pas’ éclate en quatre , puis en d’innombrables paroles qui nous invitent à reconnaître l’existence d’autrui. Donner suite à cet appel est l’expression de ma reconnaissance de pouvoir moi-même exister en toute liberté. Cette dynamique qui anime les Paroles est fondamentale et doit nous préserver d’une lecture statique et inanimée qui n’aura d’autre issue que la négligence et l’oubli.  Ce que je veux dire, soit on interprète les Dix Paroles à partir de la passion de Dieu pour son peuple et on y répond tout aussi passionnément, soit elles mourront de leur belle mort et nous mourrons avec. 

 

Voici une possible retranscription des Dix Paroles :


  1. Parce que l’Eternel s’est montré le Dieu de la Vie,
    parce qu’Il nous montre des perspectives nouvelles
    parce qu’il donne un sens à notre vie,
  2. nous rejetterons le joug de ces puissances qui se prennent pour dieu
    et promettent du bonheur sans le donner. Nous n’avons pas besoin de nous faire une image de Dieu puisqu’Il est avec nous, nous ne sommes pas seuls ;
  3. quand nous prononçons son nom, ce sera pour rappeler sa présence et pour répondre à sa voix ;
  4. pour ne pas oublier que nous sommes appelés à vivre libre,
    nous prendrons le temps
    pour respirer au rythme de son souffle,
    pour ajuster nos battements de cœur aux siens.
  5. Nous nous mettrons à l’écoute de ceux et de celles qui avant nous,
    ont fait l’expérience de la liberté, leur enseignement nous sera précieux et à notre tour, nous transmettront ce qui nous est donné ;.
  6. Nous ne priverons personne de l’espace de vie dont nous jouissons nous-mêmes.
  7. Nous témoignerons de la bonté de Dieu par la fidélité avec laquelle nous nous donnons les uns aux autres.
  8. Nous ne prendrons pas ce qui ne nous est pas destiné.
  9. Notre parole ne sera pas destructrice ni mensongère, elle ne se dressera pas contre mon prochain.
  10. Nous n’aurons pas besoin de vouloir ce que d’autres ont puisque nous serons heureux avec tout ce qui nous est déjà donné.


Il est bon de rappeler que ces Dix Paroles sont prononcées devant tout le peuple qui s’est réuni au pied de la montagne et comprend, hommes, femmes, enfants, hommes libres et esclaves ; tous sans exception sont invités à accueillir ces Paroles qui forment la base de l’alliance, la base du contrat, entre Dieu et Israël. Il y a là un excès qui n’est pas habituel. Un excès que l’on retrouve dans l’expression de l’amour qui ne compte pas, qui ne distingue pas entre bons et méchants. Un amour qui déborde des strictes limites  de l’équité. Amour qui rejoint l’esprit de gratuité d’un Dieu qui relève son peuple parce qu’il a entendu leurs cris, entendu leur appel.

Jean rapporte quelques paroles de Jésus qui souligne le rapport entre l’amour et l’observation des commandements avec ce nouveau commandement, aimez-vous les uns les autres qui résume tous les autres. Excessif ? Oui, en effet, il y a là un excès, un débordement pas très raisonnable mais qui semble la prolongation, l’approfondissement et l’aboutissement de ce qui pointe déjà le nez dans les anciens témoignages concernant la Parole qui se donne comme lieu de libération et de Vie. L’amour oblige, irrésistible il a poussé l’Éternel à intervenir en faveur d’un peuple humilié. De la même manière l’amour a régi le faire et dire de son Envoyé. Cette parole que vous entendez, dit Jésus , n’est pas de moi mais du Père qui m’a envoyé. Tout commence par la Parole du Père. Parole agissante qui réclame une réponse, formulée d’abord en dix puis en une seule parole, un seul commandement : celui d’aimer. Sans cette graine de folie, comment habiterons-nous la Terre Promise ?


Amen



Prières d’intercession

 

Eternel Dieu,

en ce matin du premier jour de la semaine,

nous te louons pour ta Parole créatrice

qui frappe sans relâche

aux portes fermées de notre existence

invitation à nous ouvrir encore

à toi, aux hommes et au monde.

 

Nous te louons pour cette parole 

qui interroge notre existence

et fait bouger les lignes ;

elle nous déplace

elle nous invite à regarder au-delà des possibles

et de faire confiance à la force créative

qui habite en chacun de nous.

 

Entends nos prières pour ceux dont l’espoir est brisé,

pour ceux que la déception a rendu sourds et aveugles

incapables d’entendre une parole nouvelle ;

pour ceux et celles préoccupés par leur avenir ;

pour nos enfants dont certains retrouveront bientôt le chemin de l’école ;

pour les enseignants et les autres professionnels qui reprennent leur travail

peut-être avec une certaine appréhension ;

pour nos aînés pour qui la solitude devient trop pesante ;

pour les malades ;

pour les personnes en fin de vie.

 

Que ta Parole d’amour leur reste audible

dans des gestes, des regards

qui disent ta fidélité.

 

Rends-nous capables d’aimer à notre tour,

le plus petit, la plus humiliée,

donne-nous ainsi d’être vivants

et ouverts à plus que nous-mêmes !

 

Amen