Culte du dimanche 18 avril 2021

Par Judith van Vooren

Lecture

Jean 21,15-24

Prédication

Ce texte aborde plusieurs thèmes qui mériteraient sans doute qu’on y consacre plus qu'une seule prédication:

• Réhabilitation d'un fauteur
• Aimer, c'est prendre soin
• Aimer, c'est suivre
• Suivre le Christ se fait au sein d'une communauté

Aujourd'hui, je m'attarderai notamment sur le premier et sur le dernier point.

1. Réhabilitation d'un fauteur

Si le texte me paraît un peu difficile à lire c'est peut-être surtout parce qu'il installe un certain malaise, exprimé notamment par la tristesse de Pierre. Jésus lui pose une question simple en apparence : Simon, fils de Jean, m 'aimes-tu ? Mais la réponse de Pierre , un peu évasive en ce qu'il ne répond pas de manière directe et franche par un : Oui, bien sûr , je t'aime !, fait que Jésus répète sa question plusieurs fois tout en la formulant légèrement différente. La traduction ne rend pas ces nuances, ni la manière exacte avec laquelle Pierre répond. Vous savez pourtant comme moi qu'en matière d'amour tout est dans la nuance ... Lorsque Jésus lui demande m'aimes-tu plus que ceux-ci, il emploie le verbe ‘agapao’, ce verbe 'aimer' réservé à l'amour sans réserve, un amour qui convoque la personne tout entière sans ambiguïté aucune. Amour qui engage sans même réfléchir aux conséquences d'un tel engagement... M'aimes-tu PLUS QUE CEUX-CI ? Il est très difficile de savoir ce que Jésus demande exactement. Que Pierre aime Jésus plus que les autres disciples qui aiment eux aussi Jésus ? Ou qu'il aime plus Jésus qu'il n'aime les autres disciples ? Ou encore, qu'il aime plus Jésus que 'celles-ci', ces choses. Jésus visait peut-être ses occupations quotidiennes de pêcher ? Le grec permettrait cette interprétation. Peu importe finalement ; Jésus demande si Simon Pierre donne la toute première place à Jésus. Il veut savoir s'il est bien dans ce 'plus', dans cet excès de la foi . Or, Pierre répond juste 'à côté'. Tu sais bien que je t’aime, ‘phileo’, cet autre verbe pour dire 'aimer' ; tu sais que je t'aime comme un très proche ami. En répondant de cette manière, Simon Pierre semble marquer une petite réserve. Il répond avec un certain retenu : il dit ‘tu sais que je t'aime’, et ne parle donc pas de manière directe , il oublie le ‘plus que' et il emploie un autre verbe ... Ce faisant, Pierre montre qu'il se connaît bien soi-même. Car oui, il a été le premier à s'enthousiasmer pour le projet de Jésus, mais il a également été le premier à le renier. Dans les versets qui précèdent notre texte, Jean précise que l'échange avec Simon Pierre a lieu autour du feu de braise sur lequel Jésus et les disciples viennent de griller 153 petits poissons. Feu de braise, feu d'amour, mais amour renié par trois fois quand une servante interrogeait Pierre sur son lien avec Jésus. Voici la vérité sur la vie de Pierre, voici la vérité sur sa relation à Jésus : il aime Jésus mais pas d'un amour inconditionnel... Et oui, ça peut bien nous mettre un peu mal à l'aise à notre tour, puisque la question formulée dans l'évangile selon Jean, s'adresse peut-être aussi à nous qui l'entendons. Et si c'est le cas, elle s'adresse à notre être profond. Quand Jean nous invite, nous, ses lecteurs, à nous interroger sur notre rapport à Jésus, au Christ ressuscité, il ne nous demande pas ce que nous pensons de lui, de manière savante, théorique, théologique, intellectuelle ou cérébrale, mais de manière existentielle. Quel est notre attachement au Christ ? Qui est-il pour moi, pour nous ? De quelle manière l'aimons-nous?

Pierre n'a pas répondu de manière univoque. Mais Jésus ne le disqualifie pas pour autant. Au contraire, il lui confie ses agneaux. Puis, il repose la question une deuxième fois : Simon-Pierre, m'aimes-tu ? Cette fois il n'y a plus question d'un 'plus que'. Et à nouveau Pierre répond par son engagement d'ami : tu sais que je t'aime. Et Jésus lui confie ses brebis. Puis, enfin, Jésus lui pose la question une troisième fois . Et cette troisième fois Jésus rejoint Simon-Pierre là où il est, en adoptant le même vocabulaire que le disciple. Ainsi, Jésus comble la distance qui subsistait encore entre lui et le disciple : m'aimes-tu , ‘phileis’, m'aimes-tu comme un ami ? Comme si Jésus disais, je comprends bien que tu m'aimes de cet amour-là et .... cela me suffit, et il lui renouvelle sa confiance: pais mes brebis.

Je retiens l'intérêt de ce long et lourd échange entre Pierre et le Christ ; toutes choses ont pu être clarifiées, l'ambiguïté qui pesait jusque-là sur la relation a pu être levée. La voie s'ouvre sur un avenir nouveau. Au lieu de regarder aux manquements du passé, les fautes de la jeunesse, Jésus fait confiance à Pierre pour l'avenir en tenant compte de ses possibilités, ses forces, comme de ses limites. Et la suite du récit montre qu'il ne s'agit en aucun cas d'un engagement moins ferme, moins important. Jean emploie l'image du jeune homme qui, en se ceignant lui-même, prenait les initiatives de ses déplacements, et était totalement maître de sa vie ; puis, celle d'une personne âgée qui a acquis la souplesse et la maturité pour aller plus loin en se laissant conduire par un autre. Pour Jean, il ne s'agit pas là de faiblesse ou perte d'autonomie, mais bien plutôt de confiance totale et force de foi. Je ne dirais pas plus sur ce premier thème: réhabilitation d'un fauteur .

2. Aimer, c'est prendre soin

Je ne m'attarderai pas trop sur le deuxième thème. Simplement ceci :il qualifie Pierre comme berger et rappelle qu'aimer le Christ se traduit dans une attention particulière portée aux autres, les agneaux et les brebis. On pourrait croire que, du fait de la fonction particulière de Simon-Pierre, la scène ne concerne que quelques-uns d'entre nous, ceux qui, comme les pasteurs par exemple, se sont vus confié une charge spéciale. Or, je pense que nous sommes toujours les bergers et les brebis les uns des autres.

3. Aimer, c'est suivre

Le troisième thème est donc celui de la suivance dans la foi. Pierre a dû comprendre la gravité de cet appel et Jean fait probablement allusion à sa mort violente au verset 19. Ce thème a été largement illustré par quelqu'un comme Bonhoeffer, pasteur et résistant en Allemagne nazi, ou encore par Martin Luther King. Tous deux ont enseigné et montré par leur choix de vie que l'amour pour le Christ se vérifie dans la capacité à lui faire confiance quoiqu'il arrive et littéralement jusqu'au bout. Je cite à ce propos quelques paroles de Martin Luther King prononcées dans son sermon intitulé 'Antidotes de la peur'. Le type d'amour qui a conduit le Christ à la croix et gardé Paul serein dans les flots furieux de la persécution n'est ni mou, ni anémique, ni sentiment. Un tel amour affronte le mal sans broncher et fait preuve d'une capacité infinie 'd'encaisser', comme dit notre langage populaire. Un tel amour domine le monde, ne fût-ce que du haut d'une croix grossière, dressée vers le ciel. (in : La force d'aimer, p ; 185) Bonhoeffer développera ce thème lorsqu'il rejette la conception d'une foi 'bon marché' et évoque la foi 'coûteuse' , celle du Christ comme celle du disciple. Bonhoeffer a payé sa fidélité au prix de sa vie.

4. Suivre le Christ se fait au sein d'une communauté

Le dernier point concerne la communauté. Jean prend soin , nous l'avons vu la semaine passée, de donner du poids à la fois à la situation personnelle de chaque croyant, on pourrait dire que cela correspond à notre premier point, la situation de Pierre devant le Christ, comme à la dimension communautaire. Jésus offre sa paix à et pour la communauté, cet ensemble d'individus qui chacun, chacune à sa manière, sont attaché.e.s au Christ et aimés.e.s par lui. La dimension communautaire est ici évoquée par l'image du berger et son troupeau mais également par la juxtaposition des deux figures emblématiques de la première église : Simon-Pierre et le disciple que Jésus aimait. Si Pierre est appelé à suivre, le disciple que Jésus aimait le suivait déjà, mieux, il n'a jamais quitté Jésus ! Et Pierre, nous dit Jean, regarde ce disciple. Oui, une fois que sa propre situation devant le Christ est clarifiée et sa charge de berger qualifiée, Pierre opère un mouvement excentrique et porte son regard sur cet autre disciple que Jésus aimait. Évoquer cet amour du Christ pour l'autre disciple pourrait faire croire qu'il existe de la part de Pierre une forme de jalousie. Mais c'est là une interprétation douteuse qui ne peut prendre naissance que dans un esprit troublé par la question de la place première. Or, ne doit-on pas supposer que Pierre a définitivement dépassé cette question ? Pierre se souciait probablement réellement de ce frère dont la proximité avec le Christ ne fait aucun doute et fait craindre le pire. Pierre vient de comprendre que son amour du Christ sera jusqu'à la mort, en ira-t-il de même pour cet autre disciple ? Jésus se veut rassurant en disant si je le veux, il demeure jusqu'à ce que je vienne. Et l'auteur de l'Évangile de dissiper un malentendu : demeurer ne signifie pas 'ne jamais mourir' mais bien rester présent parmi nous, notamment par l'entremise de son témoignage écrit. En effet, le récit identifie le disciple bien-aimé comme `le témoin et l'auteur de ces choses conforme à la vérité'. Il est évident qu'entre Pierre et le disciple bien aimé il ne peut être question d'une concurrence quelconque. Tous deux, chacun à sa manière, chacun à sa place, portent une responsabilité pour la communauté. On sait qui est Simon-Pierre, mais l' identité du disciple bien aimé reste un mystère. Si ce dernier est resté anonyme il faut sans doute y chercher un sens symbolique : ne portant aucun nom en particulier, ne porte-il pas le vôtre, le mien ? Alors, dans ce cas, Simon-Pierre et le disciple aimé anonyme représentent la communauté des croyants. Impossible de s'en sortir seul dans la foi, semble dire cet Évangile. Et c'est sur ce thème que je vais conclure.

Depuis plus d'un an la dimension communautaire de nos églises a été mise à rude épreuve. Elles nous ont manqué, ces réunions autour d'un feu de braise pour non seulement entendre et dire la fidélité de Dieu pour nous, mais encore, pour goûter et partager, rompre le pain et passer le vin ... L'accolade ou la poignée de main, qui nous font sentir, le temps d'un instant, le lien qui nous unit, manquent au plus frileux d'entre nous. Le sourire caché sous le masque, il reste le regard et c'est bien l'essentiel. Ce regard de Jésus pour Simon-Pierre, le regard de Simon-Pierre pour le disciple que Jésus aimait. Ce regard qui s'intéresse à l'autre. L'autre derrière moi, qui suit peut-être depuis bien plus longtemps que moi. L'autre à côté de moi, qui est peut-être tout jeune dans la foi. Ou encore l'autre qu'on aurait tendance à oublier tellement il est discret qu'il passe presque inaperçu. Quand nous aurons trouvé notre place de disciple, quand nous aurons interrogé notre rapport au Christ, alors, comme Simon-Pierre, décentrons-nous, et regardons les frères et les sœurs qui sont là avec nous. Et ensemble, donnons suite à l'appel, 'suis-moi !'

Amen