Psaume 66

Psaume 66


Culte du dimanche  25 avril 2021



Par Martin Keizer



Lecture


Psaume 66



Prédication


Lorsqu’on m’a demandé de présider le culte d’aujourd’hui, j’ai consulté le calendrier liturgique qui nous propose comme thème de ce jour « La reconnaissance ». Il présente le Psaume 66 comme point de départ d’une réflexion. Il s’agit effectivement d’un psaume de reconnaissance auquel les versions grecque et latine, c’est-à-dire la Septante et la Vulgate, ont donné le nom « Psaume de résurrection », Titre suggéré par le verset 9 où l’auteur, s’adressant à Dieu, s’exclame « lui qui rend notre âme à la vie ». Ce qui peut supposer que les auteurs de ces versions rapportaient le Psaume 66 à l’établissement du peuple juif revenu de l’exil, un retour ressenti comme une résurrection, comme un nouveau départ. Chouraqui traduit : « Il met notre être en vie ». Les premiers chrétiens, eux, n’ont pas tardé d’y voir la résurrection de Jésus. D’où le choix proposé par le calendrier liturgique de méditer ce psaume durant la période d’après Pâques.

 

Les Psaumes sont des poèmes religieux dont la plupart sont destinés à la liturgie du culte. Comme nous, nous chantons des cantiques et lisons des prières, les juifs chantaient les psaumes lors de leurs rassemblements. On lit par exemple dans le Nouveau Testament que Jésus et ses disciples avant se de rendre au mont des Oliviers ont chanté des Psaumes. L’épître aux Colossiens encourage les premiers chrétiens de s’instruire et de s’exhorter par des psaumes, des hymnes et des cantiques spirituels chantant à Dieu sous l’inspiration de la grâce (Col. 3,16).

 

Beaucoup de croyants aiment lire les Psaumes et ce n’est pas étonnant. Ils parlent d’expériences et d’événements qui sont aussi les nôtres. En les lisant on s’y retrouve. Souvent ils correspondent à notre vécu. Angoisse ou joie, appel au secours ou action de grâce, détresse ou paix profonde, peur ou confiance, tout s’y retrouve.  Parfois aussi notre colère lorsqu’on éprouve le désir de remballer tout le monde. «O Dieu, si seulement tu faisais mourir le méchant ! » s’exclame le Psalmiste au Psaume 139.

 

Si à l’origine, les psaumes exprimaient la dévotion personnelle et spontanée d’un fidèle, ils sont devenus des prières communautaires réunis dans un psautier. Les prières de reconnaissance y sont relativement peu nombreuses. Par contre, les supplications occupent presque le quart du recueil. Ce qui fait dire aux notes de la Bible TOB : « Les hommes se plaignent plus souvent qu’ils ne jubilent ».

 

Ainsi, les Psaumes sont comme des miroirs reflétant nos expériences. Ils sont rédigés par plusieurs auteurs dont David le plus connu. Un ensemble de poèmes de tout genre, constitué au fil du temps, vu et revu pour se trouver finalement dans le canon biblique. C’est là que s’exprime tout ce que le croyant peut ressentir devant son Dieu. Qui ne connais pas le Psaume 23 : « L’Eternel est mon berger » ?

 

Aujourd’hui, nous sommes exhortés à faire preuve de reconnaissance. Le verset premier : « Lancer une clameur vers Dieu, habitants de toute la terre ». Le verset 4 : Toute la terre se prosterne devant toi et psalmodie en ton honneur ». Le verset 8 : « Bénissez notre Dieu, faites entendre vos voix pour sa louange ». Le psaume est écrit dans un style impératif.

 

Je me suis dit que le calendrier ecclésiastique pour l’année 2021 n’avait sûrement pas prévu qu’on allait être en pleine période de pandémie où sur toute la surface de la terre les soupirs dominent, où les exclamations de joies sont rarissimes, où les mesures sanitaires accablent. Comment en ces circonstances éprouver de la reconnaissance ? On aurait mieux fait de nous proposer le Psaumes 6 : « Mon âme est toute troublée ». Ou encore le psaume 88 (v.4) : « mon âme est rassasiée de maux et ma vie s’approche du séjour des morts ». Mais non, il fallait que ce soit le psaume 66 nous exhortant à louer Dieu.

 

Je me pose donc la question à savoir si nous sommes capables de louer Dieu malgré des circonstances négatives ? Notre cœur peut-il se remplir de gratitude ?  Notre joie demeure-t-elle malgré ce que nous vivons en ces temps difficiles ? La question se pose à la lecture de ce Psaume 66. Alors, regardons de plus près ce qui motive l’auteur à louer Dieu.

 

Avant tout, remarquons qu’il n’est pas hypocrite. En invitant à la louange joyeuse, il ne passe pas sous silence les épreuves douloureuses. Au verset 10 il dira que son peuple a été éprouvé comme on éprouve l’argent. « Affinés comme on affine un métal », traduit Maurice Gilbert. « Fondu comme l’argent se fond », traduit Chouraqui en ajoutant le commentaire : « Le feu du creuset ne libère-t-il pas le pur argent ? » On passait les métaux précieux au feu afin de les dégager de leurs scories. Une image que l’on retrouve à plusieurs reprises dans l’Ancien Testament et qui fait deviner la rudesse d’une épreuve. Puis, le Psalmiste continue au verset 11 : « Tu nous avais amenés dans le filet, tu avais mis sur nos reins un pesant fardeau ». La nouvelle traduction de Bayard écrira : « Tu nous prends au piège, tu charges nos reins ». Quand on est pris au piège, on éprouve un sentiment de trahison, de déloyauté. Avoir les reins chargés, évoque l’idée d’être cassé, éreinté, courbatu.   

 

L’énumération des épreuves continue. Au verset 12 : « Tu as fait chevaucher l’homme sur nos têtes ». Les commentateurs disent que le texte hébreu est obscur. Pour les uns, il fait allusion à un champ de bataille sur lequel les morts et les blessés sont foulés par les chevaux. Pour les autres, le verbe chevaucher signifie traiter tyranniquement et outrageusement. Laisser monter des hommes sur sa tête. Eprouver un sentiment d’impuissance quand on est par exemple totalement à la merci d’autrui.

 

 « Passés par le feu et l’eau » poursuit le Psalmiste. Feu et l’eau ! Catastrophes devant lesquelles les hommes sont souvent démunis. Des situations extrêmes. Si le Psalmiste avait écrit de nos jours, il aurait ajouté la souffrance indescriptible de la Shoah au 20ème siècle. Un mal insondable. Comme le philosophe Hans Jonas, il aurait peut-être parlé du manque de pouvoir de Dieu, de son impuissance ayant livré son peuple au hasard du devenir.

 

Oui, le Psalmiste évoque des circonstances difficiles et peint un tableau sombre et dramatique des aléas de la vie. Dès lors, est-il encore possible de louer Dieu ? Ne serait-ce pas insolent de vous inviter à la louange en ce temps de pandémie où le monde déplore plus de 3 millions de décès ? Dans les fracas de l'existence, comment faire pour suivre l’appel du Psalmiste ?

 

Regardons comment il s’y prend. Il invite à se remémorer les événements du passé où Dieu est intervenu en faveur de son peuple. Venez et voyez...dit-il. L’auteur invite les lecteurs à le suivre dans son raisonnement. Dieu a « changé la mer en terre sèche, on traversa le fleuve à pied. C’est là où nous nous sommes réjouis en lui ». Il s’agissait d’une libération extraordinaire de l’esclavage en Egypte et la découverte d’un nouveau pays où coulaient le lait et le miel.

 

Ainsi, à côté des malheurs traversées, le Psalmiste rappelle les actes de salut dont ont bénéficié leurs ancêtres et constate que dans le passé, il a été possible d’échapper au sort apparemment inéluctable. Leur séjour en Egypte qui a duré 400 ans s’était transformé en esclavage et persécution. A côté des durs labeurs qui leur furent imposées, les Egyptiens jetaient même leurs nouveau-nés dans le Nil pour empêcher que le peuple ne devienne trop nombreux et potentiellement dangereux. Mais dans la personne de Moïse, Dieu est venu à leur secours. Or, raisonne la Psalmiste, s’il avait été possible d’être libéré de la tyrannie la plus puissante qui était, cela devra donc encore être possible aujourd’hui. Il invite les lecteurs à revisiter les événements du passé pour en faire des promesses qui peuvent encore se réaliser aujourd’hui.

 

Pour pouvoir louer le Seigneur, le psalmiste commémore donc des œuvres accomplies bien des siècles avant lui et les voit, comme si elles s'opéraient encore sous ses yeux. Pour lui, les grandes œuvres de Dieu n'appartenaient pas à une époque révolue. Leurs effets sont permanents. Il invite les croyants de tous les temps de les contempler comme accomplies pour eux. Il rapproche donc le passé du présent et affirme la présence permanente de Dieu. Ce qui fait dire à un commentateur : « Quand on les lit avec foi, ces histoires ne sont pas seulement des histoires anciennes ; elles nous paraissent toujours nouvelles et se reproduisent journellement aussi dans notre propre expérience ».

 

Ne serait-ce pas pour nous aussi un moyen de tenir la tête haute en commémorant l’action de Dieu dans le passé ? Sans doute sommes-nous accablés par un présent qui nous semble insurmontable mais lors des épreuves du passé est-ce que nous ne nous sommes jamais sentis soutenus d’un bras invisible ? N’avons-nous jamais reçu un secours inattendu ? Une solution imprévisible, un soulagement heureux, une délivrance inespérée, un dénouement surprenant ? Bien-sûr ! Tous nous pouvons témoigner d’avoir été tirés d’embarras, d’avoir surmonté une épreuve, d’avoir été secourus.  Il est bon de se souvenir de ces délivrances pour nourrir notre espérance et de pouvoir regarder l’avenir.

 

Lorsqu’au verset 6, le Psalmiste demande de se réjouir remémorant la sortie d’Egypte, la conjugaison du verbe réjouir est au futur mais dans une forme spécifique indiquant une action qui constamment doit avoir lieu dans un avenir. La version Segond traduit : c’est là que nous nous sommes réjouis en lui, Chouraqui traduit : là, nous nous nous réjouissons en lui et la Bible de Rome traduit : c’est là que nous nous réjouirons en lui. Un verbe décliné au passé, au présent et au futur pour une même action car ces histoires durent toujours. Elles deviennent notre histoire. La louange prend son extension dans le temps et dans l’espace. Nous nous réjouissons, car Dieu ne tarde pas à venir à notre secours.

 

On raconte la réflexion de Barack Obama lorsqu’il a assisté à un sermon ayant comme titre « L’audace d’espérer ». Le prédicateur parvenait à donner une vie nouvelle aux vieux récits de libération en laissant résonner la justesse et la justice de leur message dans le monde de violence qui est encore le nôtre. « Ces histoires, disait Obama, devenaient notre histoire, mon histoire ».

 

Ainsi le Psalmiste surmonte son propre malheur en mettant en exergue la présence incessante de Dieu qui se manifeste là où la vie l’emporte. Dieu a été fidèle dans le passé ? Il le sera au présent et dans l’avenir. Le fondement de la confiance se trouve dans la fidélité et la loyauté indéfectibles de Dieu. C’est la raison pour laquelle le Psalmiste appelle à la louange et à la reconnaissance.

 

Mais se souvenir n’est pas dire comme nous avons, hélas, trop souvent l’habitude surtout en vieillissant : « Ah, autrefois, tout était mieux ». Non. Paul Ricoeur écrit : « La mémoire n’a de valeur que si elle se transforme en projet ». Et à Honoré de Balzac d’écrire : « L’espoir est une mémoire qui désire ». Le Psaume 66 est une Psaume de résurrection : Dieu met notre être en vie. Et s’il met notre être en vie, ce n’est pas pour sombrer dans le fatalisme, le désespoir ou le complotisme. Compter les morts n’a jamais sauvé des vies, remarque un auteur français. Je suis émerveillé de voir en cette période de pandémie, les nouvelles découvertes, les recherches accélérés, les initiatives inédites auxquelles on n’aurait pas pensé avant que le malheur n’arrive. Chaque matin au journal télévisé de France 2, on nous montre une courte séquence intitulée « Une idée à la minute ». La parole est donnée à des jeunes et des moins jeunes qui font naître des projets pour aider leur prochain en difficultés. Croyant comme je suis, j’y vois l’action de Dieu. Un Rwandais écrit « Le covid-19 a prouvé que la vie est un projet par-dessus tout », Bonhoeffer écrivait que « la résurrection n’abolit pas les réalités de la vie aussi longtemps que subsiste le monde, mais la vie nouvelle, la vie éternelle, fait irruption dans la vie terrestre toujours plus puissamment et s’y ménage une place ». 

 

Les aléas de la vie nous font explorer des nouveaux sentiers, découvrir des nouvelles pistes. Les souffrances de la vie nous rendent résistants. Les vicissitudes de l’existence forment notre caractère, renforcent nos défenses. Ainsi, le soutien reçu lors des expériences négatives du passé nous prépare à faire face au présent et d’être à mêmes de remercier Dieu pour sa présence infaillible. « Dieu met notre être en vie », c’est dire qu’une puissance de vie se produit même au pire de l’épreuve. C’est la raison pour laquelle le Psalmiste invite à mettre la gloire de Dieu dans notre chant et dans notre vie. Le Psaume 66 devient une profession de foi dans la fidélité de Dieu. Nous sommes invités à être optimistes, non pas pour ignorer les problèmes, mais pour nous aider à y faire face. Le psalmiste nous invite à louer Dieu. Il y a un très beau commentaire du pape François sur l’importance de la louange : « Celui qui loue, dit-il, devient fécond, celui qui ne loue pas devient stérile. » 

 

Lorsque le croyant se tourne vers Dieu, il ne l’implore pas pour être délivré de sa fragilité humaine, ni de sa vulnérabilité. Il sait bien que cela fait partie de la vie. Mais, il demande de pouvoir assumer cette faille existentielle et de lui enseigner son chemin pour la vivre. Louer Dieu peut permettre de se décentrer de son problème et se faire habiter par l’espérance. A ne pas être prostré, recroquevillé sur l’épreuve, mais être déjà dans « l’après». Louer aujourd’hui, c’est introduire une effusion d’espérance et se tourner vers la suite. Maurice Zundel nous invite « à ne pas voir dans la résurrection de Jésus un miracle physique où un cadavre se réanime et apparaît à nouveau à ceux qui croyaient en lui. Non, la puissance de la résurrection de Jésus, dit-il, c’est de prendre soin de notre vie, de cette vie créatrice, de cette vie qui triomphe de la mort ».

 

Je termine par une illustration. Lors des commémorations récentes des attentats de Bruxelles du 22 mars 2016, une victime, Béatrice de Lavalette, a rendu un vibrant témoignage.

 

 « Mes jambes ont été touchées et amputées, explique-t-elle, la voix tremblante. J'ai eu des blessures internes très sérieuses et j'ai été brûlée sur plus de 35% de mon corps…J'ai pleuré, j'ai pensé que ma vie était foutue. Je me suis perdue dans un tunnel très sombre mais j'ai ensuite réalisé que cela ne servait à rien. On ne peut pas changer ce qu'il s'est passé, mais on peut choisir d'aller de l'avant…Ce que mes blessures m'ont apporté, c'est une nouvelle vision du monde. Elles m'ont donné une force surhumaine car je peux aider d'autres personnes. Si j'ai pu surmonter ce qu'il m'est arrivé, alors les autres le peuvent aussi. Je peux aider les personnes qui se sont perdues dans leur traumatisme, qui ont besoin d'aide pour trouver la lumière au fond de leur propre tunnel. Mais le plus important, j'ai gagné de l'espoir. Pour moi, l'espoir est la clé pour trouver la lumière dans le tunnel obscur de chacun. L'espoir donne de la force pour aller de l'avant ».

 

Que pourrait-on ajouter à un témoignage aussi bouleversant ? Que Dieu nous donne de façonner notre mentalité, de changer notre manière de raisonner pour que même dans les moments les plus difficiles, la louange puisse donner le ton à notre existence. Les interventions de Dieu n’appartiennent pas à un passé révolu. Elles sont toujours d’actualité. A nous de lui faire confiance.


Amen