Dimanche de Pentecôte

Dimanche de Pentecôte


23 mai 2021



Par Judith van Vooren



L'Esprit de Vie


Depuis que le monde existe ,

depuis que les humains l’habitent,

l’Éternel nous accompagne par le don de son Esprit.

Comme un souffle qui embrase le chaos

et donne vie à notre existence ;

comme un feu qui  réchauffe le cœur de ceux et celles

qui sont en route vers un pays de promesse,

pays ruisselant de lait et de miel ;

comme le battement d’ailes de cette colombe

qui caresse l’humain véritable,

sortant de l’eau de sa naissance,

unissant ainsi le ciel et la terre ;

comme une parole de paix, souffle qui fait vivre,

car invitation à pardonner, à aimer et à espérer.


JVV

 


Lectures


- Joël 2,18-27 & 3,1-5 

- Actes 2,1-24



Prédication


Prêcher la Pentecôte, prêcher le don de l’Esprit, est peut-être un des exercices les plus périlleux dans la vie d’un pasteur. Prêcher c’est d’abord lire et étudier des textes bibliques, en extraire les lignes fortes qui paraissent faire sens aujourd’hui, capter ces idées ou principes par la parole humaine ; puis, les tourner dans tous les sens , les développer , en dire des choses que l’on pense pertinentes pour ceux et celles qui, ce dimanche-là, se seront déplacés, qui se seront extraits de leur cocon familial pour vivre, avec d’autres,  cette heure de décentrement de soi et recentrement sur l’Autre.


La prédication peut signifier une ouverture, elle peut être l’outil de transmission d’histoires donneuses de sens ; la prédication peut être ce moment magnifique où la Parole , avec majuscule, où la Parole , telle la colombe qui s’envole de l’arche de Noé,  trouve enfin un endroit où se poser, terre ferme que ce cœur de l’homme ou de la femme qui accueille cette Parole et lui permet de se déployer sous toutes ses couleurs.


Oui, la prédication peut avoir cette force-là. Force irrésistible qui dépasse de loin le prédicateur qui doit d’ailleurs se dessaisir de ses paroles une fois prononcées. Elles ne seront plus siennes puisque données sans pouvoir les reprendre.

Mais le prédicateur peut également enfermer la Parole dans ses propres idées, dans ses propres paroles , et ainsi là rétrécir, couper les ailes à la Parole. Prêcher comporte toujours ce risque d’emprisonnement, surtout lorsqu’on laisse subsister l’idée que le prédicateur dévoile la seule vérité possible concernant la parole entendue.


Il y a là une responsabilité que le prédicateur partage avec l’assemblée. Cette dernière doit savoir qu’elle entend et accueille, ou refuse, ou critique, une parole humaine et non la Parole de Dieu. Le prédicateur n’est pas prophète . Ce qui n’empêche que l’Esprit peut se servir de tout, y compris de cette parole humaine fragile , partielle et faillible du prédicateur pour annoncer l’Évangile du Christ qui , lui , libère et sauve .


Aujourd’hui donc, partout dans le monde, des prédicateurs et prédicatrices prendront le risque de prononcer une parole concernant l’Esprit, car aujourd’hui nous fêtons la Pentecôte. Aujourd’hui, et partout dans le monde, des paroles humaines tenteront d’être ces tarmacs à partir desquels la Parole prendra son envol pour atteindre les cœurs et les vies des hommes et des femmes qu’elle fécondera, par la force de l’Esprit, afin qu’ils portent beaucoup de fruits.


Alors, je prends ce risque, moi aussi, parce que telle est la chose qui est attendue de moi. Je prendrai le risque de parler et vous prendrez le risque de laisser mes paroles vous atteindre. Bien sûr, nous aurons l’occasion d’échanger , nous élargirons nos réflexions , nous pourrons revenir sur telle ou telle idée, mais in fine, si en cette heure même la Parole avec majuscule vous parle , ce sera une histoire intime entre chacun, chacune d’entre vous et l’Esprit.


Et je tiens à préciser que cela ne signifie pas que la religion est une affaire  strictement privée comme certains veulent bien nous le faire croire. C’est d’ailleurs le premier message de la Pentecôte. Car l’Esprit est à la source d’une dynamique puissante qui anime l’être humain tout entier et déborde de la personne sur le monde qui l’entoure. 


Marc Tétaz, théologien et philosophe suisse, écrivait sur son blog, à l’occasion de Pentecôte 2020 1 que la parole prêchée, ancrée dans la pratique rituelle du culte, propose à ceux auxquels elle s’adresse une nouvelle manière de comprendre leur vie et d’orienter leur action. Selon lui, la pentecôte rappelle cette force transformatrice.  Tétaz évoque à ce propos un renouvellement de vie qui ne concerne pas l’individu isolé, mais à l’individu comme membre de la communauté rassemblée dans l’écoute  de la Parole et dans la célébration liturgique. Elle invite chacun à se comprendre comme membre d’une communauté et à comprendre cette communauté comme la métaphore du genre humain. Le renouvellement de vie proposée par la Parole prêchée est par conséquent une promesse adressée au genre humain : la « justice salvifique » qu’elle proclame est l’espérance d’un monde renouvelé par une action qui s’oriente sur la logique du don et de la gratuité plutôt que sur celle de la répartition et de la distribution, et donc de la lutte inégale pour les ressources. Elle s’exprime dans une pratique de solidarité qui transcende toutes les limites que le droit impose inévitablement à la justice. Et de rappeler que de cette manière , la parole enracinée dans la pratique rituelle de la communauté  chrétienne , est la ressource morale par laquelle la religion chrétienne contribue aux débats sociétaux  sur les « principes de justice » (John Rawls) qui organisent les sociétés modernes.


Voilà qui confirme l’idée que dans la foi chrétienne il y a toujours une composante individuelle et une composante communautaire qui dépasse à la fois le cadre privé et le cadre ecclésiastique, ce qui vient corriger une vision trop étroite, car strictement individualiste et purement religieuse, de la foi chrétienne.  Voilà aussi qui reconnaît à l’Esprit son action transformatrice pleinement libre .


Et c’est peut-être bien la première chose que nous devrions prêcher sur l’Esprit qui se déploie sans limite ni réserve sur les disciples rassemblés à la maison lorsque s’est accomplie la Pentecôte. L’Esprit est libre ; si libre qu’il défie les barrières qui séparent le domaine privé du domaine public. Si libre qu’il sort les disciples de leur silence, si libre que déjà s’élargit l’espace de l’Église naissante : le vacarme attire la foule , une foule nombreuse qui représente la terre toute entière. La parole se meut de l’intérieur vers l’extérieur car l’Esprit donnait à chacun, à chacune, d’entendre les grandeurs de Dieu dans sa langue maternelle, dans sa langue du cœur .

Oui, ces grandeurs de Dieu, telles que Jésus nous les a fait connaître , sortent de l’ombre et sont désormais annoncées aux humains dans leur grande diversité et affichées sur la place publique où elles seront éprouvées, testées, vérifiées ; tel est avant tout l’événement de la Pentecôte, le don de l’Esprit pour que ces grandeurs soient contées. Et devant la force de cet Esprit, chaque homme, chaque femme est resté et restera pleinement libre à son tour ; certains ont accueilli ce que l’Esprit leur donnait à entendre, d’autres, sceptiques, ont mis tout cela sur le compte du vin doux.


Nous avons lu que Pierre n’a pas été découragé par ces réactions hostiles. Il a saisi la contestation pour annoncer que ce qui se produit là n’est autre que l’accomplissement de la promesse, portée par le prophète Joël : que Dieu répandra son Souffle, sans distinction, sur les garçons comme sur les filles, sur les jeunes comme sur les vieux, sur ses serviteurs et ses servantes : pour que toutes et tous soient prophètes .


Puis, Pierre s’adresse aux foules rassemblées et leur annonce le Christ, condamné et mis à mort  par les hommes mais relevé par Dieu. Voici le cœur de la prédication chrétienne : que celui que nous condamnons à mort est promis à la vie par Dieu. Renversement de toute logique mortifère et Pierre appelle donc à la conversion, à se détourner de tout ce qui mène vers cette condamnation de la vie, pour nous laisser gagner par ce mouvement fou vers la vie et pour la vie, afin que se réalise la parole de Joël : quiconque invoquera le nom du Seigneur sera sauvé.

 

Sauvé de quoi ?

Sauvé de toute force, de toute pensée, de toute conviction, de toute réalité sociale et économique qui nous rapproche de la mort plutôt que de la vie. Et non, on ne prêche pas tant le salut dans un au-delà projeté après notre mort — d’ailleurs doit-on vraiment se soucier de la mort depuis que le Christ est vivant ? — ,  que le salut qui, ici et maintenant, nous transporte au-delà de nos possibles, un salut qui nous invite à aller au-delà des limites que nous nous imposons, au-delà des murs et des séparations, au-delà de la méfiance et de la haine , au-delà du penser petit de soi-même et des autres ; au-delà de notre tristesse aussi, au-delà de notre honneur, au-delà de notre pessimisme qui enferme aujourd’hui trop de jeunes. Le salut qui nous est annoncé nous sauve de la polarisation croissante qui règne en maître, divisant les esprits autour des questions de santé et de justice sociale.  Cet Esprit rapprochera et donnera le courage de bâtir des ponts exactement de la même manière dont Jésus a rapproché, réconcilié, guéri et pansé . Je pense à cette jeune femme, Luna, bénévole de la Croix Rouge, qui console un migrant sénégalais sur les plages de Ceuta… Instant de pure humanité. Je pense à ces bénévoles qui accompagnent les personnes âgées vers les centre de vaccination, je pense à l’infirmière qui s’assied au bord du lit d’un patient qui ne guérira peut-être pas. Je pense aux jeunes qui vont de porte à porte pour nous sensibiliser à la Croix Rouge, Greenpeace ou Amnesty. Je pense à la maman musulmane qui apporte la soupe à son voisin de palier. Et je pense au grand-père qui, une fois par semaine, sillonne nos routes de campagne et ramasse les ordures que d’autres y ont ‘oubliées’.  Je pense à tous ces petits gestes qui nous humanisent au quotidien.  


Le récit de Pentecôte nous annonce ce que nous voyons : que l’Esprit de Vie, l’Esprit d’Amour, l’Esprit Saint, qui est en Christ comme il est en Dieu,  est agissant ; qu’il embrase  et anime des hommes et des femmes, des jeunes filles et des garçons, peu importe leur situation, leur statut social, toutes et tous sont concernés, sans distinction aucune. 

 

Je crois fermement que  l’Esprit est si libre, si vaste et si puissant, qu’il ne se cantonne pas à l’Église, ni même aux gens du Livre . Il suscite la vie là où il le veut, et là où les hommes et les femmes se laissent séduire par ses perspectives de paix, de justice, d’amour. Si l’Esprit peut passer incognito, on le reconnaîtra pourtant aux moindres traces de joie et de vie qu’il sème parmi nous et dans ce monde . A nous d’y être attentifs.



Amen


1. Marc Tetaz, L’enracinement de la Parole dans le culte : le sens de la fête de Pentecôte.  

https://www.reformes.ch/blog/jean-marc-tetaz/2020/05/lenracinement-de-la-parole-dans-le-culte-le-sens-de-la-fete-de