Les changements

Les changements : chemin de vie


Culte du dimanche 16 mai 2021



Par Georges Quenon



Confession de foi


Nous croyons que Dieu est présent dans nos vies.


Nous croyons qu'il nous rassemble et qu'il se manifeste, là où nous ne l'attendons pas, dans l'imprévu et l'inattendu.


Nous croyons qu'il se manifeste aussi là où nous l'avons beaucoup attendu, de façon imprévue et inattendue.


Nous croyons qu'il ne se laisse enfermer dans aucune institution, dans aucune définition. Nous croyons qu'il nous relève et nous libère.


Nous croyons qu'il nous donne la force d'agir et de changer le monde.


Nous croyons que Jésus-Christ vient à notre rencontre sur le chemin de la vie.


Nous croyons que nous marchons en sa présence. Nous croyons qu'il nous parle et nous répond, dans le présent de nos vies.


Nous croyons que l'Esprit insuffle sa présence dans nos fragilités et dans la beauté de nos jours.


Nous croyons qu'il nous guide dans le monde que Dieu a créé pour nous, dans l'attente de la nouveauté du Royaume.


Nous croyons que le salut est donné à tous, sans distinction.


Nous croyons que, au beau milieu de cette vie si belle et si compliquée, le salut s'annonce comme une promesse.


Nous croyons que cette bonne nouvelle donne à chaque humain une dignité irrévocable et le courage de vivre, du premier au dernier souffle.

 


Lectures


Actes 1,15-17 ; 20a ; 20c-26

1 Jean 4,11-16

Jean 17,11b-19



Prédication


Nous voici, selon le calendrier liturgique, entre les fêtes de l’Ascension et de la Pentecôte. Dans le Nouveau Testament, c’est certainement dans ce temps que la jeune communauté des disciples de Jésus, devra apprendre à vivre des changements radicaux.


Comment vont-ils vivre ces changements ? Les gérer ? Vont-ils s’accrocher avec acharnement au passé ? Vont-ils se laisser paralyser face à un avenir incertain, sans la présence de Jésus, en tout cas comme ils l’avaient expérimentée jusque-là ? Ou au contraire pourront-ils regarder résolument vers l’avenir avec espérance ? Vont-ils pouvoir faire « le grand saut » en avant ou rester sur place avec nostalgie et regret d’une période qui est passée et qui ne reviendra plus ?

Jésus n’est plus là, il faudra faire les choses autrement. Faire face aux premières défections, abandons, de l’ère chrétienne, trouver un remplaçant à Judas, trouver un moyen pour le remplacer.


J’ai choisi de prendre ces textes du jour sous l’angle de cette épreuve du changement. Avec en filigrane les deux textes johanniques :

- Celui de la première épître de Jean qui nous fait toucher à l’amour indéfectible de Dieu dans lequel nous allons aller chercher notre identité profonde. Mais aussi si nous nous aimons les uns les autres : l’authentification de notre témoignage.

- Celui de l’évangile de Jean considéré comme le « Notre Père » de l’Evangile de Jean. Un peu comme si ces changements que les disciples sont appelés à vivre, seront réussis s’ils restent dans l’amour fraternel et l’unité, la solidarité entre les disciple de Jésus.

L’amour et l’unité faciliteront les changements que l’Église de tout temps devra vivre et négocier. Si l’amour de Dieu nous unit les uns aux autres, s’il reste la caractéristique de la communauté des disciples du Christ, les changements à traverser seront synonymes de vie.

 

Ah ces changements dans nos vies ! Nous les redoutons, repoussons bien souvent, nous essayons de les retarder, mais inexorablement ils arrivent, nous devons y passer. Avec le temps nous nous apercevons, cependant, qu’ils sont chemins de vies et de progression dans la vie.

 

Chaque étape qui se termine, aussi douloureuse soit-elle, va donner naissance à une nouvelle étape de vie et non de mort. Cependant nous pourrions nous interdire de naître à une nouvelle étape… c’est le pire de tout…

 

Nous sommes appelés à faire passage. Le terme de Pâques, référence suprême pour tous les chrétiens, signifie « passage ». Passage de la servitude à la liberté, passage par la mort pour une vie nouvelle.


Les Pâques bibliques nous parlent de nos Pâques, de nos passages, parsemés au long de nos vies, qui nous font passer des servitudes, des morts à la liberté et la vie.


La Pâque de Jésus, a été un événement extrêmement dramatique. Or, Jésus a transformé cet événement dramatique en événement de salut pour toute l'humanité. Et depuis, il n'est aucun événement, aussi dramatique soit-il, dont Jésus ne puisse tirer du bien par la force de sa résurrection. Il n’est aucun événement en ce monde que nous ne puissions lire à la lumière de la résurrection du Christ



- La mort, condition de la vie dans la création !


La croissance physique de l’être humain ne se fait pas par rajouts, mais par pertes successives en vue d’une évolution, il en est de même au plan psychologique et au plan spirituel.


Selon le médecin psychiatre J. Monbourquette, "la vie est une suite ininterrompue d'attache­ments et de séparations, de morts et de naissances. Il faut sans cesse accepter de mourir à un état pour naître à un autre"


Si dans nos vies nous n’acceptons pas nos morts, nos pertes nous ne pouvons pas passer à la naissance de l’étape suivante, nous restons calé dans un état de léthargie (mi-vivant, mi-mort)


Ainsi, notre existence est jalonnée de pertes, de départs, de deuils, aussi bien au plan physiologique que psychologique. Et toute perte est une mort partielle, impliquant un travail de deuil. Ce qui serait souhaitable, c'est de pouvoir transformer chacune de ces petites morts en chemin de vie, en Pâques, en étape qui nous permets de passer d’une mort, d’une perte à une étape de vie nouvelle. Comme Jésus a transformé la mort en vie, pour lui-même et pour tous les êtres humains. Ainsi, toute perte peut être une naissance à quelque chose de nouveau.


Exemple : Le sculpteur ne procède pas par ajouts, mais par enlèvements. Enlever de la matière pour façonner une forme, tel est le principe de la sculpture.


1. Sur le plan biologique


Les biologistes ont montré que la vie biologique s'opère nécessairement par la mort de certaines cellules entre autres pour la formation normale de nos membres, sans quoi on aboutit à des monstruosités anatomiques, et même à la mort de l’embryon dans le sein maternel. Quand on devient adulte, on n'a donc pas des bras d'enfant qui ont grandi ; à la fin de notre existence, sur les milliards de cellules que nous avions à la naissance, presque toutes seront mortes et auront été remplacées par d’autres.     


J. Dausset, prix Nobel de physiologie et de médecine en 1980, souligne que la mort est un rouage essentiel à l'émer­gence et à la montée de la vie, une nécessité pour la progression de l'espèce : « La mort est loin de prendre ici un caractère dramatique ; elle est au contraire absolument nécessaire pour l'évolution de la matière vivante. Sans mort, la possibilité de voir apparaître chaque fois un nouvel être légèrement différent du premier n'existerait pas. [...] Si nous avions des gènes éternels, il n'y aurait pas d'évolution du vivant, avec ses merveilleuses capacités d'adaptation »


La nature elle-même s'épanouit dans un cycle incessant entre la mort et la vie. Nous sommes actuellement au printemps, et nous assistons à une véritable explosion de vie. Mais il ne faut pas oublier que cette explosion s’est préparée tout au long de l’hiver, et même déjà en automne, voire vers la fin de l’été. L'Évangile nous en donne l'exemple symbolique du grain de blé qui doit mourir pour porter du fruit et pour permettre à la vie de se continuer (Jn 12, 24). Dieu n'aurait-il pas laissé dans sa création des traces ou des signes de cette mort nécessaire à la vie ? 


    2. Sur le plan psychologique


    Selon E. Erikson, la croissance psychologique de l'être humain se fait à travers une succession de crises, de Passages difficiles et douloureux, qui impliquent le deuil de quelque chose d’important La plus connue, la crise d’adolescence, est nécessaire pour faire passer l’enfant à l’âge adulte. Mais ce n’est pas la dernière : il y a encore la crise du milieu de la vie, la crise du passage à la retraite… 


    Selon Erikson, le développement psycho­logique de l'être humain est indissociablement lié à la crise ; autrement dit, il n'y a pas de croissance sans crise, et pas de croissance sans deuil.


    3. Sur le plan spirituel 


    Même constatation dans notre vie de foi, notre vie spirituelle. Nous traversons divers moments de foi, notre foi s’exprimera différemment selon les temps que nous traverserons, selon notre âge et les circonstances, les expériences. Certains, les plus sincères, avouent avoir perdu la foi ou du moins douter de certaines choses dont ils ne doutaient pas avant. Je leur pose la question alors : quelle foi avez-vous perdue et en quel Dieu ? Il est normal que nous nous positionnions différemment par rapport à Dieu, selon notre âge. Autre la foi de l’enfance, autre la foi de l’adolescence, autre celle de la vieillesse…, il faut que certaines « formes » de la foi meurent pour que naissent d’autres expressions de la foi et qu’ainsi nous grandissions, nous nous affinions dans notre personnalité humaine et spirituelle. (Voir l’image du sculpteur qui enlève des couches dans la matière qu’il travaille pour qu’apparaisse son œuvre.)


    - Notre société ne nous aide pas à vivre les pâques de nos vies, et certaines conceptions de la foi « triomphaliste, non plus.


    • Notre culture occidentale nous fait miroiter les mythes de l'éternelle jeunesse, de la beauté sans rides, l'absence de manques et de limites, l’absence de frustrations. Cette culture rend très difficile l'intégration de la souffrance, de la frustration et des limites comme composantes de la vie et du bonheur. Jésus disait : « Celui qui veut sauver sa vie la perdra, qui la perdra la sauvera » (Lc 17, 33).


    • Un extrait d'un article d’une psychologue, Marie Romanens, intitulé Un monde sans limites, expose bien la clef du problème : «L'expérience psychanalytique a révélé (...) une loi incontournable : quand l'individu nie le réel et se laisse séduire par les sirènes d'une imaginaire quête de toute-puissance, il court à sa perte. La voie de son accomplissement, qui lui donne accès, si ce n'est au bonheur, au moins à d'avantage de joie et de paix intérieures, ne s'ouvre que par la traversée des deuils inévitables qui jalonnent son existence. (…) Tant que la personne se fige dans un refus de la perte, elle s'enferme dans un monde irréel, responsable pour elle et pour autrui d'effets destructeurs. (...) Car refuser la perte, c'est aller à contre-courant de la vie»


    Selon Thierry de Saussure, psychanalyste à Genève, la frustration est quelque chose de nécessaire à la croissance de l’homme : «L’être humain est ainsi conçu qu’il n’évolue, grandit, mûrit que grâce à un dosage bien équilibré de satisfactions et de frustrations. Et cela tant sur le plan physique qu’affectif, intellectuel que spirituel».


    - Triple conclusion :


    1. Toute au long de la vie je connais des naissances


    On peut dire que l'existence humaine, et la croissance qui l'accompagne, est une succession de pertes, de crises, qui sont appelées à être succession de transformations, de métamorphoses, succession de naissances à quelque chose de nouveau. C’est cela vivre Pâques au quotidien !


    L'existence humaine est comme un accouchement de soi-même : «La vie humaine n'est-elle pas comme une grossesse ?  La vie est une succession de naissance.»

    M. ZUNDEL disait : «L’homme existe depuis son entrée en ce monde, mais il doit ensuite naître à lui-même, naître à ce qu’il est appelé à devenir, naître à la vie éternelle, et cela peut être un accouchement de toute une vie. Jésus est en chacun l’accoucheur de notre vraie humanité.»


    Toute notre vie est un cheminement, une naissance à notre identité véritable. Chaque jour, nous découvrons un peu plus qui nous sommes, nous devenons un peu plus ce que nous sommes appelés à être ("Deviens ce que tu es"). Et chaque jour, nous perdons un peu de ce que nous ne sommes pas, ou ce que nous ne sommes plus, c'est-à-dire nos fausses identités, la fausse image que nous nous sommes faites de nous-mêmes et qui nous fait vivre dans l'illusion, dans un monde irréel… Nous perdons nos masques, nos carapaces, nos camouflages. Nous perdons l'enfant, l'adolescent que nous avons été, et qui tendent encore à sommeiller en nous. Nous perdons une identité qui est celle d’un autre âge, qui est pour nous trop étroite. Comme la chenille doit mourir, quitter sa chrysalide pour se transformer en papillon, pour s’envoler !


    Tout au long de l'existence, on devrait apprendre à se débarrasser de ce qui est mort en nous (ou tout simplement ce qui n’est plus de notre âge), et qui nous alourdit, pour faire place à ce qui est vivant. Mais surtout, en apprenant à transformer toutes ces petites morts en chemin de vie, j'apprends à transformer la Mort en Vie. A travers tous ces petits passages de la mort à la vie, tous ces changements acceptés, je me prépare au grand Passage de la Mort à la Vie. Apprivoiser la mort, c'est en fait préparer la Vie.

     

    2. « La pascalisation de notre histoire »


    Nous devons apprendre à regarder les événements avec du recul, avec le regard de Dieu, qui voit plus loin, et qui peut toujours en tirer du bien : «Tout concourt au bien de ceux qui cherchent Dieu» (Il n’est aucun événement en ce monde que nous ne puissions lire à la lumière de la résurrection du Christ)


    • Si l’on regarde l’histoire du Peuple de Dieu dans l’AT, elle pourrait apparaître comme une histoire négative : une histoire douloureuse, histoire de destructions, une succession de guerres, de tueries, d’injustices, déportements, famines, épidémies.

      Et pourtant, cette histoire constitue la Parole de Dieu. C’est une Histoire sainte : la même histoire sous le regard de Dieu, qui ne regarde pas seulement un élément de cette histoire, mais son ensemble et le dessein de Dieu, le but vers lequel Dieu conduit les événements.


    • Vivre un chemin pascal, insérer la Pâque au cœur de ma vie, c’est transfigurer ces événements (pascaliser) :  C’est les lire dans la lumière de la Pâque du Christ. C’est percevoir le sens qu’ils peuvent prendre, et faire qu’au lieu de m’écraser, ils puissent servir à me faire grandir, à me faire aller plus loin. C’est regarder ces événements dans le dessein de Dieu qui regarde à long terme, et non pas seulement une ou deux pages de notre histoire.


    3. La Parole de Dieu se lie à notre histoire et lui donne sens


    Nous sommes aussi appelés à relire les événements de notre vie sous le regard de Dieu, pour qu’ils deviennent Parole pour notre vie et en fait une Histoire sainte. En Hébreu, le même mot, DaVaR, signifie à la fois événement – Parole.


    Ce qui fait écrire à Jean dans son évangile : « Moi, je leur ai donné ta parole...Sanctifie-les dans la vérité : ta parole est vérité. » La Parole de Dieu, la vérité qui nous sanctifie, qui donne sens et résilience dans nos vies ce sont les événements relus par le peuple éclairé par la parole de Dieu, et qui deviennent Parole, qui deviennent Histoire sainte : l’événement devient Parole. Et cette Parole permet de regarder différemment le présent et d’envisager l’avenir dans une vision d’espérance, dans la lumière de Dieu.


    Faire le deuil des événe­ments de notre vie, c’est transformer des événements douloureux, négatifs, inco­hérents, en une histoire qui a un sens, parce que conduite par Dieu. C’est faire de ces événements une Parole de Dieu, en faire une Histoire Sainte.