Dimanche 6 juin 2021

Culte du dimanche 6 juin 2021



Par Judith van Vooren



A toutes les tisserandes du monde


Dieu est assise et pleure,

La merveilleuse tapisserie de la création

Qu’elle avait tissée avec tant de joie

Est mutilée, déchirée en lambeaux, réduite en chiffons,

Sa beauté saccagée par la violence.

Dieu est assise en pleurant,

Mais voyez, elle rassemble les morceaux

Pour tisser à nouveau.

Elle rassemble les lambeaux de nos tristesses,

Les peines, les larmes, les frustrations

Causées par la cruauté, l’écrasement,

L’ignorance, le viol, les tueries.

Elle rassemble les chiffons du dur travail.

Des essais de plaidoyers.

Des initiatives pour la paix,

Des protestations contre l’injustice,

Toutes ces choses qui semblent petites et faibles,

Les mots et les actions offertes en sacrifice,

Dans l’espérance, la foi, l’amour.

Et voyez!

Elle retisse tout cela

Avec les fils d’or de l’allégresse

En une nouvelle tapisserie,

Une création encore plus riche, encore plus belle,

Que ne l’était l’ancienne!

Dieu est assise tissant

Patiemment, avec persistance

Et un sourire qui rayonne comme un arc-en-ciel

Sur son visage baigné de larmes.

Et elle nous invite

Non seulement à continuer à lui offrir

Les lambeaux et les chiffons de notre souffrance

Et de notre travail,

Mais bien plus que cela:

À prendre place à ses côtés,

Devant le métier de l’allégresse

Et à tisser avec elle

La Tapisserie de la création nouvelle.


Riensiru

 


Lectures


- Josué 2, 1-24

- Matthieu 21, 28-32



Prédication


Chaque année, le premier week-end du mois de juin, de nombreuses églises ouvrent leurs portes ... Marcellis fait partie de ces lieux ouverts et accueillants.

Chaque année également, un thème est choisi pour ces journées d’ouverture. Le thème pour 2021 est ‘Eglise, fil rouge’. Sur le site Open Churches nous apprenons ce qui a poussé les organisateurs à choisir ce thème. Eglise, fil rouge, parce que :

 

- les lieux de culte tissent des liens d'accueil et de solidarité

- l'édifice religieux dessine une ligne directrice dans le paysage

- ces lieux furent un fil conducteur tout au long de l'Histoire et ont été témoins des petites et grandes joies ou peines de plusieurs générations

- le patrimoine religieux peut être le fil d'Ariane de nombreux circuits touristiques...

 

Jolie image que celle du fil rouge et pas faux toutes ces associations en lien avec l’Eglise.  On se rend compte de son influence et de son importance tout au long de l’histoire, notre histoire personnelle ou celle d’un peuple, comme celle d’un monde. Personnellement, en lisant le titre, Eglise, fil rouge, j’ai surtout pensé à la première évocation : les lieux de culte tissent des liens d'accueil et de solidarité. 

L’Eglise tisse des liens… L’Eglise donc, comme figure tisserande, à l’image de Dieu, évoqué.e au début de notre culte :

 

Dieu est assise et pleure,

La merveilleuse tapisserie de la création

Qu’elle avait tissée avec tant de joie

Est mutilée, déchirée en lambeaux, réduite en chiffons,

Sa beauté saccagée par la violence.

Dieu est assise en pleurant,

Mais voyez, elle rassemble les morceaux

Pour tisser à nouveau.  (M. Riensiru)

 

L’image est parlante. Dieu comme tisserande et , à sa suite, les hommes et les femmes qui lui font confiance, tisserandes et tisserands, tissant patiemment l’étoffe de l’Eglise, l’étoffe du monde.

 

On peut sans difficulté et à partir de cette image, qualifier la relation entre Dieu et les humains. Dieu aurait monté son grand métier à tisser ; le monde qu’il crée, ce sont les fils de chaîne et les fils de trame dans une éclatante variété de couleurs et de matières. Si dans un premier temps, on s’imagine Dieu seul.e derrière son métier, très vite l’image permet aussi de se situer personnellement dans ce tissu qui s’élabore au fil du temps. Tissu multicolore qu’est notre vie sociale, ecclésiologique, familiale, économique et politique. Tantôt fil de chaîne, tantôt fil de trame …  Ce qui est sûr c’est qu’il y aurait des trous dans le tissu si l’un ou l’autre fil venait à rompre, venait à manquer… 

Et que dire des ‘navettes’ qui vont et viennent, à un rythme soutenu, courageux, sans jamais se lasser ? Travail incessant actionné par des mains souvent petites et trop fragiles ? Et qui peut bien être ce peigne qui, d’un coup sec, fait se rapprocher les fils au point de ne former plus qu’un ? Sans oublier le peigne envergeure, qui, au contraire, maintient la juste distance entre les fils pourtant entrelacés. C’est un métier complexe que le métier de tisserande.

Métier complexe et sans doute un des métiers artisans les plus anciens du monde. Avec cet autre métier bien sûr, très ancien lui aussi, celui de la prostitution. Ce qui nous amène tout naturellement à parler de Rahab, prostituée, habile à manier à la fois les hommes et … le fil.

 

Rahab est une personne dans la périphérie, marginale, au sens propre comme au figuré. Elle habite une maison modeste sur les murailles de la ville de Jéricho, aux confins de la civilisation. D’un côté, tout juste si on la tolère, on la repousse dans les marges, on la tait ; de l’autre côté, on ne peut s’imaginer la ville sans elle et des hommes de tout rang social et de toute origine font appel à ses services.  Figure marginale dans la société cananéenne, elle l’est aussi dans l’histoire d’Israël, puisqu’elle est une fille d’un peuple rival. Mais aussi marginale qu’elle est, elle fait partie intégrante de l’histoire d’Israël.

 

Figure marginale, elle fait penser à Josué, successeur de Moïse, qui se situe lui aussi un peu à la marge, puisqu’il vacille encore entre désert et terre promise ; arrivé à l’extrémité du désert, il n’a pas encore franchi la frontière. 

Afin que les promesses faites à Israël deviennent réalité, il faut pourtant qu’il conduise le peuple à travers le Jourdain ; il faut dépasser des limites pour devenir habitants d’une terre et laisser derrière la vie de nomade. Le Jourdain constituera le signe visible de ce passage, fleuve qu’il faudra traverser comme jadis la Mer des roseaux.  Si le peuple d’Israël avait traversé la Mer pour échapper au pays de toutes les angoisses qu’était l’Égypte, la traversée du fleuve signifiera l’entrée dans un pays de lait et de miel où il fait bon vivre. Jéricho constitue la première phase sur ce nouveau chemin de liberté. A partir de Sittim, de ce côté-ci du Jourdain, Jéricho est la première ville qui pointe à l’horizon.  Les deux espions envoyés pour voir comment prendre possession de la ville, qui par ailleurs leur sera donnée, se rendent d’abord dans le quartier chaud… chez une prostituée vivant sur les murailles de la ville. Drôle de conscience professionnelle… mais disons que cette dame aux mœurs légères est la seule personne qui garantira la discrétion. 

 

Elle s’appelle Rahab. Son nom en dit long, ou plutôt large … Littéralement ‘large’, ‘vaste’, ‘spacieuse’, Rahab accueille celui qui fait appel à elle. Elle ouvre ses portes à quiconque a besoin de sa présence. Mais cette largesse évoque aussi la terre promise qui est décrite à l’image de Rahab, comme large et ouverte (Jg 18,10 Ex 3,8 et 34,24). Avec Rahab se dessine les contours d’une histoire nouvelle et avec elle, en elle, s'efface l’ancienne opposition entre Israël et les autres peuples. Comme Rahab, le pays d’accueil sera large. Le pays de Canaan, en tant que terre promise, sera donné à Israël comme à toute personne qui reconnaît la force mais aussi la bonté et la fidélité de Dieu et souhaite faire de cette force et fidélité du Seigneur les piliers de sa vie. 

Le récit semble insister sur le fait que la promesse exclusive à Israël est en réalité une promesse inclusive. A priori, aucun peuple ni personne n’est exclu de la vie promise dans cette terre nouvelle. 

La rencontre entre ces hommes qui migrent et Rahab, la large, auprès de qui ils trouvent un bon accueil, fait écho à la question de la migration. En réalité, les déplacements sont de tous temps, la terre est toujours terre donnée, et notre humanité est au prix de l’alliance avec l’autre, l’étranger, l’étrangère ; alors les fils se croisent et tissent une étoffe multicolore, multiculturelle. 

Qu’est- qui peut bien fonder une telle alliance ? On trouve des indices au centre du récit. 

Aux versets 9-11 se trouve le témoignage de Rahab adressé aux deux espions. Plus qu’un témoignage c’est une confession de foi : «Je le sais, l'Éternel vous a donné ce pays. La terreur que vous inspirez s'est emparée de nous et tous les habitants du pays tremblent devant vous. 10 En effet, nous avons appris comment, à votre sortie d'Egypte, l'Eternel a asséché devant vous l'eau de la mer des Roseaux et comment vous avez traité les deux rois des Amoréens de l'autre côté du Jourdain, Sihon et Og, que vous avez exterminés. 11 En l'apprenant, nous avons perdu courage et notre esprit est abattu devant vous, car c'est l'Éternel, votre Dieu, qui est Dieu en haut dans le ciel et en bas sur la terre. 

Le rappel des faits de guerre peut faire frissonner.  Mais voici un exemple de pure lecture prophétique de l’histoire. Car dans la tradition hébraïque, le livre de Josué n’est pas un livre historique mais bien le premier des livres prophétiques ! Rahab donne donc moins un récit historique précis qu’une interprétation croyante de l’histoire d’Israël et ce faisant, elle choisit de faire partie de cette histoire à travers son alliance avec les hommes qui sont venus dans sa maison. 

Dans le récit, les pistes se brouillent, les frontières deviennent poreuses. Sait-on encore exactement qui est qui dans l’épaisseur de cette nuit ? Est-ce bien la femme qui dit ‘Je sais que le Seigneur …’. N’était-ce pas plutôt aux hommes d’Israël de témoigner de la sorte ? Or, ils semblent plutôt avoir oublié leur Dieu puisque souvent dans les récits bibliques la prostitution est employée comme image de l’infidélité d’Israël à leur Dieu. Les hommes auraient-ils perdu confiance là où Rahab découvre la fidélité et la bonté de l’Éternel ?  Qu’a-t-elle compris exactement de l’histoire d’Israël et son Dieu ? Un Dieu bon et fidèle qui sauve, un Dieu qui libère, pourrait-il être aussi son Dieu ?

Sa grandeur pourrait-elle aussi être à son avantage et signifier son émancipation, sa libération, comme cela avait été le cas pour le peuple écrasé et réduit en esclavage, sous la puissance du pharaon ?

Rahab a compris la dynamique libératrice qui traverse Israël grâce à son Dieu et elle se montre à la hauteur de cette liberté offerte ; d’abord elle perpétue la bonté et la fidélité du Dieu d’Israël à l’égard de son peuple en offrant sa fidélité et sa bonté aux deux espions, puis elle réclame pour sa famille d’être également au bénéfice de cette histoire de fidélité. « Je vous en prie, jurez-moi par l'Éternel que vous aurez pour ma famille la même bonté que moi pour vous ». Les deux hommes ne peuvent qu’accepter sa demande :  Quand l'Éternel nous donnera le pays, nous agirons envers toi avec bonté et fidélité. Voici donc ce qui fonde l’alliance : la bonté et la fidélité.

Et c’est bien de cette fidélité et bonté inclusive et universelle que le fil rouge écarlate deviendra le symbole. Ce fil rouge qui auparavant était signe de la présence d’une femme large et accueillante, mais aussi méprisée et rejetée, deviendra signe de la largesse et de la fidélité de Dieu envers Israël comme envers tout peuple et toute personne qui choisit la voie de la solidarité plutôt que celui de l’exclusion.    

 

Ce fil rouge de Rahab traversera l’histoire biblique jusqu’à la généalogie de Jésus car Rahab est l’une des cinq femmes nommées par Matthieu comme arrière-grand-mères du Messie. Tamar, Bethsabée, Ruth et Marie, avec ces autres étrangères et femmes de vie légère, Rahab tisse une histoire aux couleurs de la liberté, de la solidarité, de l’audace et de l’empathie.  Elles feront naître des hommes et des femmes qui s’inscrivent à leur tour dans cette aventure qui transgresse les frontières et se laissent insérer dans la magnifique tapisserie mise au métier par la Grande Tisserande. 

 

L’Eglise s’est efforcée tant bien que mal, de s’agripper toujours à nouveau à ce fil rouge écarlate qui témoigne d’un Dieu fidèle et bon, qui invite hommes et femmes, purs et impurs, étrangers et gens du peuple, à être des partenaires fidèles à leur tour. La tapisserie est loin d’être terminée, il manque encore des fils, on attend encore des tisserands et tisserandes. 

La grande Tisserande nous invite 

à prendre place à ses côtés

Devant le métier de l’allégresse

Et à tisser avec elle

La Tapisserie de la création nouvelle. 



Amen