Vraiment incroyable !

Vraiment incroyable !


Culte du dimanche de Pâques
4 avril 2021


Par Judith van Vooren



Lectures


1 Corinthiens 15:12-17 ; 35-38 ; 50-55

Marc 16:1-8


Prédication


“Si l'on proclame que Christ est ressuscité des morts, comment certains d'entre vous disent-ils qu'il n'y a pas de résurrection des morts ? S'il n'y a pas de résurrection des morts, Christ non plus n'est pas ressuscité, 14 et si Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi.” (1 Co 15:12-14)


Chaque année, un nombre incalculable de livres sortent de presse qui tentent des formulations de la foi dites ‘modernes’ et ‘compréhensibles pour nous aujourd’hui’ ou qui s’interrogent sur la question, est-il encore possible de croire ? En fait, à la lumière des lectures bibliques de ce matin, cela devrait nous étonner. En effet, la question ‘est-il encore possible de croire aujourd’hui’ suggère que croire, croire en Christ ressuscité par exemple, coulait de source à une autre époque … 


Or, il s’agit là , à mon sens, d'une méprise fondamentale. Le doute et l’incompréhension , notamment en ce qui concerne la résurrection , accompagnent les chrétiens et l'Église depuis toujours.  

En réponse à ces doutes, l’Eglise de tous temps a formulé des réponses sous forme de dogmes et doctrines, plus ou moins développés ; il s’agit de tentatives de com-prendre, saisir donc, le fondement de la foi ; force est de constater que toutes ces tentatives, comportent le risque d’étouffer l’âme de cette foi, l’esprit de renouveau et d’inattendu propre à l’Évangile de Jésus. On ne le dira jamais assez, les plus anciens et les plus fidèles témoins de la résurrection ont bégayé, ou mieux, ils se sont d’abord tu avant de proclamer ces paroles incompréhensibles : Christ est ressuscité, il est vraiment ressuscité ! 


Le plus ancien témoignage concernant la résurrection, celui de Paul dans la première lettre aux Corinthiens, fait part d’une remise en question de la résurrection de la part des chrétiens à Corinthe. Nous ne savons pas exactement ce qui était en jeu, qu’est-ce qui provoquait leur contestation : la résurrection en soi ? La résurrection de Jésus ? Des hommes ? L’idée d’une résurrection corporelle ? Ou encore la question de savoir comment on pourrait s’imaginer la personne ressuscitée... Nous ne le savons pas. Par contre, ce que nous savons, c’est que la question était suffisamment importante pour que Paul estime nécessaire d’y consacrer un chapitre très long , très dense et très compliqué. Et ce qui est étrange, c’est que ce chapitre ne donne pas vraiment une explication claire et limpide qui rendrait la résurrection plus compréhensible. Paul suit un raisonnement en boucle où il tente de prouver l'insondable par un autre insondable : la résurrection de Christ comme condition à la résurrection des fidèles. Mais c’est le serpent qui se mord la queue !

Par contre, il y affirme que la résurrection est le fondement-même de la foi chrétienne ; ensuite, il donne quelques indications, pas plus, pour comprendre de quelle manière il faut comprendre cette affaire, ou plutôt comment il ne faut pas la comprendre : oubliez l’idée d’une ré-animation, comme si le corps mort retrouvait sa vigueur d’antan. Tout laisse penser qu’il s’agit bien plutôt d’un processus qui s’accomplit de manière mystérieuse mais bien réelle, à l’intérieur de la personne. Si bien que la personne ressuscitée s’en trouve complètement changée. Pierre écrira des paroles semblables aux ‘chrétiens dispersés dans le monde’ (1 P 1,1) : Christ est mort en sa chair mais rendu à la vie par l’Esprit. 

Même son de cloche dans les quatre évangiles. Même s’ils le formulent de manières diverses, tous expriment le fait qu’il est impossible de reconnaître le Christ ressuscité à son apparence. C’est plutôt par sa voix, par son récit ou encore par ses gestes qu’il se fait connaître. 

Tous sont d’accord pour dire que la rencontre avec le Christ ressuscité constitue un nouveau point de départ. Ou, si vous voulez, un point de rupture, invitation à ne plus envisager la vie , l’histoire, notre histoire et celle du monde, selon des vues humaines (voir 1 Co 15,32). En effet, la résurrection témoigne du fait que quelque chose d’autre , quelque chose de nouveau, s’est glissé dans notre histoire. Quelque chose d’insaisissable, car profondément étranger à notre nature, à la vie telle que nous la connaissons. Ne pas entrer dans cette nouveauté , qui est donc autre chose que ‘cette vie seulement’ (v19) est qualifié par Paul par la mention de ‘péchés’. Et croyez-moi, quand Paul évoque le péché il ne s‘agit pas de catégories morales. Mais bien plutôt d’une orientation profonde de notre vie. Orientation qui a tendance à aller vers la mort et non vers la vie ; orientation qui va vers un vivre-pour-soi et non vers un vivre-pour-l’autre ; orientation qui s’en tient à ce qui est disponible et atteignable, au lieu de chercher l’impossible, ‘des perles de pluie venues d’un pays où il ne pleut pas …’ selon l’expression de Brel.   


La résurrection, c’est un peu ça, incompréhensible, et je pense que les Corinthiens n’ont pas vraiment mieux compris que nous aujourd’hui, et ce malgré les explications savantes de Paul, qui résume en disant : Je vais vous faire connaître un mystère … et de proclamer la mort a été engloutie dans la victoire. Mort, où est ta victoire ? Mort, où est ton aiguillon ? Un mystère !


Je pense que Christian Bobin a saisi ce mystère fondamentalement incompréhensible de la résurrection, lorsqu’il écrit, à la fin de son essai L’homme qui marche , les paroles suivantes :


Les quatre qui décrivent son passage prétendent que, mort, il s’est relevé de la mort. Là est sans doute le point de rupture : cette histoire qui emprunte par bien des côtés à la lumière sereine D’Orient, prend ici une dimension incomparable. Ou l’on se sépare de cet homme sur ce point-là, et on fait de lui un sage comme il y en eut des milliers, quitte  à lui accorder un titre de prince. Où on le suit, et on est voué au silence , tout ce que l’on pourrait dire étant alors inaudible et dément. Inaudible parce que dément. L’homme qui marche est ce fou qui pense que l’on peut goûter à une vie si abondante qu’elle avale même la mort. Ceux qui emboîtent  son pas et croient que l’on peut demeurer éternellement à vif dans la clarté d’un mot d’amour, sans jamais perdre le souffle, ceux-là, dans la mesure où ils entendent ce qu’ils disent, force est de les considérer comme fous. Ce qu’ils prétendent est irrecevable. Leur parole est démente et cependant que valent d’autres paroles, toutes les autres paroles échangées depuis la nuit des siècles ? Qu’est-ce que parler ? Qu’est-ce qu’aimer ? Comment croire et comment ne pas croire ?

 

Peut-être n’avons-nous jamais eu le choix qu’entre une parole folle et une parole vaine.         


J’aime énormément ce que laisse entendre Bobin : La résurrection est dans la droite ligne de la vie de Jésus , incommensurable est sa manière de choisir toujours l’amour, sa manière de choisir la vie, au point d’en mourir, choix sans faille, sans compromission aucune et pour cela subversif et insurrectionnel . 

Combien de fois ses disciples n’ont-ils pas montré qu’ils n’y comprenaient rien ? Ils ont tenté de raisonner leur maître, mais il n’y a eu rien à faire : Jésus a fait le choix d’aller jusqu’au bout de sa logique de justice et d’amour, convaincu que telle était la volonté de son Père . De son vivant, personne n’a vraiment compris qui il était et pour quoi il était venu, sauf peut-être cette femme qui l’a oint avant même de mourir. Pierre refuse l’étrangeté de Jésus, refus que Jésus qualifie de démoniaque. Jusqu’à la fin, les disciples accompagnent Jésus sans vraiment comprendre quel est son chemin , alors , quand Jésus se prépare à mourir , ils s’endorment au lieu de le veiller…

Quant à Paul, lorsqu’il était encore Saul, il a trouvé la prédication de Jésus tellement dérangeante, qu’il a tenté de l’étouffer dans l’œuf. Quand il est sur le chemin de Damas, avec ses compagnons, il se heurte à la voix de Jésus, les compagnons sont muets de stupeur, Paul sera plongé dans l’obscurité mortelle pendant trois jours avant de se relever et d’entendre , par la voix d’Ananias, qu’il est appelé à propager cet étrange et dérangeant Évangile .

Alors, pourquoi voudrions-nous, aujourd’hui, un Évangile compréhensible ? Un Évangile moins étrange, lisse, sans sel ni saveur ? Aurions-nous peur d’embrasser ce qui nous attire mais que nous n’arrivons pas à expliquons pour autant ? 

Ce n’est peut-être pas le siècle des Lumières qui a rendu l’Évangile difficile à comprendre, ni la sécularisation,  ni même l’apparition de l’ère 2.0. C’est l’Évangile lui-même, intrinsèquement contraire à notre nature, contraire à notre religion naturelle qui a tendance à chercher Dieu dans la toute-puissance, du côté des vainqueurs de l’histoire, là où le Christ nous montre Dieu du côté des pauvres et des perdants. C’est simplement déconcertant.


Donc, aujourd’hui je vous invite, je nous invite, à une démarche un peu inattendue peut-être : n’ayons pas peur de l’étrangeté de l’Évangile. Car cette étrangeté fait partie intégrante de son message et s’inscrit dans chaque signe, chaque miracle, qui défie les forces de la mort, cette étrangeté est son essence en ce qu’elle nous apporte réellement un message bouleversant : le perdant sera vainqueur, les opprimé.e.s sont promis à la vie, on retrouve sa vie lorsqu’on l’offre dans des gestes gratuits  et insensés d’amour. Si contre-courant est cet Évangile qu’il englobe même la mort qui sera réduite au néant. La proclamation que Christ est ressuscité est l’expression de cette conviction qui défie notre sens de réalisme et nous fait tendre vers un renouvellement complet de notre être que Paul exprime à la fin de son chapitre par le langage vestimentaire : cet être corruptible aura revêtu l’incorruptibilité et cet être mortel aura revêtu l’immortalité … Ne vous laissez pas effrayer par ce langage philosophique et savant, est corruptible ce qui appartient à notre être naturel, ce que Paul exprime encore par le terme ‘péché’, et ce qu’un Paul Tillich, qualifierait d’aliénation, est incorruptible ce qui est en adéquation avec l’esprit vivifiant de Dieu. Quand cela arrive c’est un moment de pur grâce qui ne s’explique pas, mais qui se vit , tout simplement. On devient un Nouvel être dirait encore Tillich, un être dont on reconnaît les traits fondamentaux lorsqu’on regarde au Christ Jésus, à sa mort, comme à sa résurrection qui signifie rien d’autre que la victoire de l’Être sur toute forme d’aliénation. Vous voyez, même Tillich cherche ses mots pour décrire ce qui est au fond le mystère de cette Vie nouvelle qui nous est donnée en Christ. Soit on s’y plonge, soit on la refuse. Nous ne sommes pas dans une quelconque rationalité. 


Qu’est-ce que nous y gagnons à vouloir expliquer l’Évangile, à le rendre crédible au point d’en faire disparaître la part de mystère qu’est cette transformation qui ne s’opère que si nous laissons faire l’Esprit en nous ? Au lieu de vouloir com-prendre, saisir la Parole, laissons-nous saisir par elle. Alors cette Parole étrange et un peu dérangeante nous proposera son face à face fécond. Elle nous interpellera encore en espérant notre réponse engagée. 


Il est plutôt rassurant si aujourd’hui encore, la Parole garde sa part de mystère, au point de nous demander s’il est encore possible de croire … 

La vérité c’est qu’il n’a jamais été possible de croire si ce n’est par la force de l’esprit . 

 

Peut-être n’avons-nous jamais eu le choix qu’entre une parole folle et une parole vaine. 


Amen